Si vous vous rappelez, durant le dernier cours, nous avions parlé de l’évolution du cosmos d’après la philosophie de Samkhya. Mais ce n’est pas uniquement le cosmos qui s’est formé ainsi. Notre propre organisme suit les mêmes chemins.
Les trois facettes de notre esprit
La première évolution de prakriti (la nature primordiale) est buddhi (intellect). Mais nous ne parlons pas ici de l’intellect tel que nous le comprenons dans le monde moderne. La traduction plus appropriée de buddhi sera « sagesse » ou la capacité de discernement et de recul. Le rôle de buddhi est de comprendre les « vraies formes » de ce que nous percevons.
La deuxième évolution de prakriti, créée par la transformation de buddhi, est ahamkara (égo). Une fois de plus, il ne s’agit pas de l’égo tel que nous le comprenons. Dans le contexte du Yoga, nous parlons d’égo pur : j’existe/je suis. C’est ce principe qui permet à l’être d’avoir la notion de possessivité et d’existence, et donne un sens identité distinct pour chaque être. Quand cet égo est tourné vers l’intérieur, et qu’il aperçoit l’existence de buddhi et de purusha, il s’appelle asmita.
La troisième évolution de prakriti, créée par la transformation d’ahamkara, est manas (mental). Le rôle du mental est de recevoir les informations, que ce soit du monde externe ou du monde interne. La plupart du temps, quand nous parlons de l’esprit, nous parlons essentiellement du mental. Par exemple, les émotions, les réactions, elles sont toutes du domaine du mental (même si filtrées également par l’égo et l’intellect).
Ensemble, ces trois aspects sont appelés citta (champ du mental).
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Triguna – les trois forces dans l’esprit
La nature primordiale est composée de trois forces primaires (guna) :
- Sattva est la force de la création. Dans l’esprit, elle est liée à paix intérieure, au discernement, au recul.
- Rajas est la force d’impulsion/de mouvement. Dans l’esprit, elle est liée à extraversion des sens, l’égo, et le manque de clarté.
- Tamas est la force d’inertie. Dans l’esprit, elle est liée à l’ignorance, la paresse, l’obscurité.
Afin de mieux comprendre le concept de ces trois forces, nous allons utiliser un exemple hypothétique. (A noter, il s’agit d’une vulgarisation d’un concept bien plus profond !)
Prenons l’exemple de buddhi. Imaginons que buddhi est un atome primordial qui vient de se manifester. Cet atome est maintenant instable.
Pourquoi ? De nouveau, imaginez quelque chose qui vient d’être créé. Elle n’a pas encore entièrement une forme manifeste (ce qui est le rôle de tamas). Mais l’énergie qui lui a donné naissance (sattva) est fortement présente. En même temps, l’inertie/force de gravité est en train de jouer sur lui, en cherchant à l’aider à se manifester physiquement. Cet enjeu créé une forte dynamique (rajas) au sein de cet élément.
Cet atome instable est en recherche de stabilité. Dû à l’énergie présente dans l’atome, une transformation aura lieu. Une partie de l’atome va se métamorphoser dans un nouvel atome, permettant ainsi à l’atome primaire de trouver la stabilité. Et ainsi sera créé un nouvel atome : de buddhi viendra ahamkara, permettant ainsi à buddhi de retrouver sa stabilité dans l’existence.
Cette transformation/mutation dans les principes/atomes primordiaux va continuer jusqu’à ce qu’un atome contienne assez de tamas pour contenir l’intégralité de l’énergie créée par sattva (et donc la dernière évolution : prithvi).
Il s’agit bien entendu d’un exemple très simpliste pour vous donner une idée.
Lien guna et Citta
Chaque nouvelle évolution de la nature primordiale contient, par nature et par besoin, plus de tamas que l’élément précédent. Donc buddhi par sa nature est plus sattvic que ahamkara, et manas est plus tamasic qu’ahamkara.
Le rôle de purusha (l’âme) est d’observer. Il observe à travers citta. Afin de mieux comprendre comment cet observation se passe, utilisons une autre analogie.
Dans celle-ci, on va prétendre que purusha est à la fois la lumière (comme la lumière du soleil) et à la fois un appareil photo. Citta représente les objectifs à travers lesquels on va prendre la photo (observer).
Le premier objectif est buddhi (intellect). Buddhi est essentiellement sattvic et ne contient que très peu de tamas. L’objectif alors est presque transparent. Et quand on va prendre une photo uniquement à travers cet objectif, la photo sera presque similaire à l’objet que purusha observe.
Mais ahamkara (l’égo) contient plus de tamas. Tamas ici c’est comme des tâches/poussières sur l’objectif. La photo que l’on va prendre sera alors plus floue.
Manas contient encore plus de tamas. La photo que l’on prendra sera alors encore plus floue !
De nouveau, nous sommes dans la sur-simplification. Parce qu’il y a des millions et des millions de processus qui se passent dans notre esprit !
Comment purusha reçoit des informations ?
De manas sont nés les jnanendriya (les sens cognitifs). Ces sens cognitifs sont liés à notre corps (formé des 5 bhuta, éléments grossiers). Disons que purusha souhaite recevoir des informations d’un objet en face de vous.
Tout d’abord, purusha va illuminer l’objet en question (à noter, seule la lumière de purusha compte !). Combien de lumière purusha arrive à donner à l’objet va dépendre de l’état d’esprit (plus il y a tamas ou rajas, moins purusha va arriver à l’illuminer). Nos yeux, nez, etc. vont envoyer une image de l’objet en question au cerveau. Qui par la suite va l’envoyer au mental, qui va l’envoyer à ahamkara et qui va l’envoyer à buddhi. Et seulement après être passé à travers ces filtres purusha va pouvoir « voir » l’objet en question.
Retournons sur notre analogie de l’appareil photo. Imaginons que nous cherchons à prendre une photo dans une pièce complètement sombre. La première personne n’arrive pas à garder l’objet illuminé (trop de tamas dans l’esprit) mais arrive à rester concentrée sur l’objet pendant longtemps (l’obturateur de l’appareil reste ouvert longtemps). Elle arrivera alors à prendre une photo qui est relativement éclairée, mais qui contient énormément de « bruits » et manque de clarté.
La deuxième personne n’arrive pas à garder l’objet illuminé (trop de tamas) et n’arrive pas à garder l’objet en focus longtemps (esprit agité – trop de rajas – l’obturateur de l’appareil ferme rapidement). L’image alors sera complètement noire !
La troisième personne (notre yogi !) arrive à illuminer l’objet (peu de tamas et rajas donc la lumière de purusha rayonne sur l’objet). Et dans ce cas-là, la photo sera claire.
L’impact des guna sur citta
C’est à travers l’image de l’objet/situation reçue que purusha va décider quelle action prendre. Purusha va alors envoyer la commande à citta. Cette commande sera filtrée par les guna présents dans buddhi, ahamkara et finalement manas. Manas va envoyer la commande aux karmanendriya (sens d’action). Cette commande sera transférée au cerveau, qui va l’envoyer à nos muscles.
Mais tout ce processus, que ce soit l’information reçue par purusha ou l’action prise à la suite de l’information reçue, dépend entièrement des guna présents dans l’esprit. Regardons de plus près ce qui se passe dans les trois cas :
Prédominance de sattva guna : L’objectif de notre appareil est clair et sans poussière. Purusha illumine entièrement le monde autour et arrive à comprendre/capter les objets et les situations qui lui sont présentés.
Grace à cela vient le recul et le discernement. Il n’est plus sujet de ses émotions ou ses désirs et ses peurs. Il maitrise ses actes et arrive à capter les causes et les effets de ses actes. Les émotions négatives comme le regret, etc. n’ont pas lieu d’être. Cela amène une profonde paix d’esprit. Il se rend compte également de la nature éphémère de l’existence et tourne les sens de plus en plus vers l’intérieure. La recherche de la réalité ultime devient primaire.
Prédominance de rajas guna : L’objectif de notre appareil est poussiéreux et cette poussière ne cesse de bouger. Purusha a du mal à illuminer le monde autour. Mais surtout l’image de l’objet/situation qui lui est envoyée ne cesse de bouger (parce que les « taches » sur l’objectif bougent sans cesse.
La conscience est alors confrontée à une mécompréhension de la situation. Chaque fois il voit la situation en question, de nouvelles informations, souvent contradictoires avec les informations déjà reçues, lui sont présentées. L’esprit devient de plus en plus agité. Dans la recherche de stabilité, cet esprit cherche à s’ancrer dans le monde externe à travers l’égo. La personne devient de plus en plus émotionnelle. Les désirs (et les peurs) montent. Elle ne trouve la paix qu’à travers les acquis matériels, mais cette paix est éphémère, et créé un besoin constant d’acquisition (que ce soit matériel ou affectif, d’ailleurs).
Prédominance de tamas guna : Notre objectif est presque noir. Seule une toute petite partie de l’objet peut être illuminée, et rarement bien.
La nature de tamas est lourde et enveloppante. Dans cet état, la personne ignore la réalité de l’objet qui lui est présentée. Cependant, vu que purusha n’illumine que le même aspect de l’objet sans arrêt, elle est convaincue qu’elle détient de la vérité de l’objet/situation. Les peurs sont fortement présentes. La personne tourne « en rond » autour des mêmes idées et s’éloigne de plus en plus de la réalité de l’objet/situation. Quelque part, elle devient « infatuée » par l’aspect de l’objet qui lui est présenté.
Entrainement
Nettoyer l’objectif de notre appareil (enlever tamas) est un projet à long terme. Mais avant tout, il est important d’avoir la maitrise de l’obturateur ! Car dans le monde agité dans lequel nous nous vivons, le déficit d’attention est devenu un vrai problème.
L’entrainement cette semaine va se concentrer sur la pratique de trataka (fixer le regard). On va le mettre en place sur la flamme d’une bougie.
Exercice
Prenez un événement récent de votre vie. Et essayez de le décortiquer à travers l’idée des trois guna.
D’ailleurs, vu que tout le monde possède des appareils photos, essayez de « rendre réel » notre analogie ! C’est-à-dire, prenez la photo du même objet dans une pièce complètement noire en gardant la vitesse de l’obturateur à maximum et ensuite minimum. Finalement, prenez la photo du même objet en illuminant la pièce. Et méditer sur la différence entre les trois photos.