La semaine dernière, nous avions discuté la dualité purusha-prakriti. Yoga considère que la vraie nature de l’être est purusha. Cependant, sous l’entrave de prakriti, il oublie sa vraie nature. Et c’est la cause principale de sa souffrance.
Mais qu’est-ce que Prakriti ? Pourquoi cause-t-elle cette confusion chez Purusha ? Pour répondre à ces questions, nous allons nous appuyer sur Samkhyakarika d’Isvarakrishna.
Qu’est-ce que Samkhya ?
La 5ème des 6 écoles de philosophie hétérodoxe hindoue, Samkhya (सांख्य) veut dire calculer/énumérer/délibérer. Cette école se concentre sur l’énumération systématique et l’inspection rationnelle de la réalité.
C’est cette énumération de l’évolution du cosmos qui deviendra la base sur laquelle les philosophies de Yoga, Tantra et Ayurvéda se construiront.
Tout comme Yoga, Samkhya nous parle de la dualité purusha-prakriti, avant de se focaliser sur l’évolution de prakriti dans le cosmos que nous percevons.
D’après Samkhya, Prakriti est le premier principe du cosmos manifesté. C’est la naissance de tout ce qui est notre mental, l’énergie, le corps et chaque particule qui existe dans l’univers.
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Evolution d’après Samkhya
Au début, il n’y avait que purusha et prakriti. Prakriti peut être vu comme la première particule de l’univers.
Réflexion : D’où vient-elle ?
Cette première particule est jada (sans conscience et sans intelligence). Elle est composée de 3 forces primaires. Sattva, c’est la force de la création. Rajas, la force de mouvement. Tamas, la force d’inertie. A cause de la manifestation de cette première particule, ces trois forces sont instables. Cette instabilité inhérente dans prakriti cause l’évolution.
La première évolution est Buddhi (intellect/logos) que l’on peut voir comme les formes primaires du cosmos. Buddhi se transforme en Ahamkara (égo), ou le sens d’existence/possessivité. De Ahamkara est né manas (mental).
Avec l’action de sattva, manas se transforme en Jnānendriya (les sens cognitifs) :
- śrotra (श्रोत्र) : l’ouïe ou la capacité d’entendre/ressentir la vibration d’un objet.
- tvak (त्वक्) : le sens du tactile ou la capacité de ressentir le toucher d’un objet.
- cakṣus (चक्षुस्) : le sens de la vue ou la capacité de voir un objet.
- jihvā (जिह्वा) : le sens du gout ou la capacité de déterminer le gout d’un objet.
- ghrāṇa (घ्राण) : le sens olfactif ou la capacité de ressentir l’odorat d’un objet.
Ces jnanendriya envoient des informations à notre mental. Par la suite, le mental réagit à travers les Karmendriya (les sens d’action) :
- vāc (वाच्) : la faculté de parole.
- pāṇi (पाणि) : la faculté de préhension.
- pāda (पाद) : la faculté de marcher/bouger/se déplacer.
- upastha (उपस्थ) : la faculté de reproduction.
- pāyu (पायु) : la faculté d’excrétion/d’évacuation.
Les aspects tamas de prakriti se transforment en matière. A noter ici, nous ne parlons pas de la matière brute telle que nous la percevons dans la vie quotidienne. Mais si on devait faire un lien avec la science moderne, nous parlerions des particules subatomique.
Tout d’abord sont nés les Tanmātra (तन्मात्र) ou les éléments subtils :
- Śabda (शब्द) : la substance qui possède la potentialité d’être entendue par le sens de l’ouïe. Ce sabda va se transformer en :
- sparśa (स्पर्श) : la substance qui possède la potentialité d’être ressentie par le sens de toucher, et qui se transforme en :
- rūpa (रूप) : la substance qui possède la potentialité d’être vue, et qui va se transformer en :
- rasa (रस) : la substance qui possède la potentialité d’être ressentie par son goût, et qui va donner naissance à :
- gandha (गन्ध) : la substance qui possède la potentialité d’être ressentie par l’odorat.
A noter ici, j’ai mis « potentialité » en gras. Ce n’est pas sans raison. Ces éléments subtils ne peuvent pas être entendus/vus/etc. Mais ils contiennent la potentialité de créer des éléments qui pourront être vu, entendu, etc. De même, chaque transformation successive garde les qualités des transformations/éléments précédents. Donc rasa possède la potentialité d’être ressenti par le gout, mais aussi la potentialité d’être vue, d’être touchée et d’être entendue.
Ces tanmatra vont par la suite donner naissance aux éléments bruts ou les pancha bhuta, que l’on peut voir comme les éléments composants d’un atome.
- ākāśa (आकाश) : l’élément Espace ou Éther ;
- vāyu (वायु) : l’élément Air ;
- tejas (तेजस्) : l’élément Feu ;
- ap (अप्) : l’élément Eau ;
- pṛthivī (पृथिवी) : l’élément Terre.
Tout comme les tanmatra, chaque élément garde les qualités des éléments précédents.
Tout ce que nous pouvons percevoir à travers nos sens cognitifs est composé de ces 5 éléments. Donc la terre que nous pouvons percevoir, ce n’est pas l’élément Terre dont on parle ici. Mais elle est composée des 5 éléments grossiers.
Nos corps (et notre cerveau aussi !) sont pareillement composés de ces 5 éléments.
Pourquoi c’est important ?
Si vous vous rappelez, dans les Yoga Sutras I.3-4, Patanjali nous parle de la confusion de purusha. En étant focalisé sur ce qu’il peut percevoir, il oublie sa vraie nature. Mais ce qu’il peut percevoir n’est que le corps et quelques processus du mental.
Comprendre la complexité de l’organisme et comment cet organisme s’est manifesté est la première étape avant de pouvoir défaire cette confusion.
Ce corps auquel nous attachons tellement d’importance n’est qu’une enveloppe qui ne représente qu’une toute petite partie de nous. Ces pensées et ces émotions à travers lesquels nous nous définissons ne sont même pas 1% de ce qui se passe dans notre mental ! C’est en comprenant cela que la voie de Yoga démarre, et nous met en contact avec l’incroyable potentiel de notre être et notre esprit.
Entrainement
Bien entendu, c’est génial de dire que nous sommes un organisme complexe, mais encore faut-il s’en rendre compte ! Les deux derniers entrainements consistaient à observer nos pensées et relaxer le corps. Aujourd’hui, nous allons nous concentrer sur notre souffle, qui, étant une manifestation de prana, joue un rôle central dans le flux d’information envoyé à notre esprit.
Pour l’entrainement de cette semaine, nous allons nous concentrer sur bien respirer et compter la durée du souffle.
Asseyez-vous dans une posture confortable. Prenez le temps de détendre le corps. Maintenant expirez en vidant bien les poumons (contractez l’abdomen pour les vider complètement). Inspirez en comptant combien de temps chaque inspiration prend. Expirez en comptant combien de temps chaque expiration prend. Essayez de réguler leur durée pour que chaque inspiration prenne 4 secondes et chaque expiration 8 secondes.
Exercice
Cherchez le lien entre les sens cognitifs et les sens d’action. Prenez 1-2 actions récentes. Essayez de les décortiquer en cherchant quels étaient les sens cognitifs qui vous ont envoyés les informations avant d’agir. Ensuite décortiquez l’action en le divisant en 5 sens d’action.