Parmi les concepts les plus importants abordés dans les Yoga Sutras de Patanjali est le concept des pancha klesha – les 5 afflictions ou les 5 causes de la souffrance. Comprendre l’origine et la nature de ces klesha nous aide à non seulement comprendre ce qui se passe dans notre esprit, les mécanismes derrière la souffrance sociale, mais aussi pourquoi la voie de Yoga existe..
Introduction
Nous, les êtres humains, nous sommes des êtres intelligents, n’est-ce pas ? Alors comment se fait-il que nous souffrions des problèmes comme le stress, l’anxiété, la mauvaise estime de soi ou encore le burn-out ? Comment se fait-il que nous ayons inventé un système économique qui ne cesse de creuser l’écart entre les riches et les pauvres ? Pourquoi, malgré l’urgence de la situation climatique, nos politiques continuent de préférer de nous dresser les contre les autres au nom de race, religion ou encore nationalité ?
Aussi étonnant que ça puisse paraître, les sages comme Patanjali avaient déjà prévu ces problèmes il y a plusieurs milliers d’années. Ils comprenaient intimement la nature humaine et les afflictions qui génèrent les mécanismes de la souffrance. D’ailleurs, s’ils nous avaient transmis les voies comme celles de Yoga, bouddhisme ou encore les Tantra, c’était justement pour prévenir cette souffrance.
Malheureusement, sous l’influences des klesha, ces afflictions, nous avons non seulement continuer dans le chemin de la souffrance, mais nous avons aussi réussi à pervertir ces voies de sagesse pour nous conforter dans nos illusions.
Si on souhaite sortir de ces mécanismes de cette souffrance, avant tout, il est important de mieux comprendre ce que sont ces klesha et comment ils nous influencent.
Que veut dire Klesha – Etymologie et définition
Plusieurs traductions du mot “kleśā” existent. Et elles sont toutes justes. On peut traduire kleśā par souffrance, affliction, douleur, etc.
Mais pour bien comprendre ce mot, nous avons besoin de revenir sur le sutra I.5 : “vr̥ttayaḥ pañcatayyaḥ kliṣṭākliṣṭāḥ” – les vṛtti ont 5 membres, certains kliṣṭā, d’autres akliṣṭā.
Les mots “kliṣṭā” et “kleśā” sont intimement liés. Kliṣṭā veut dire ce qui a été tourmenté. Kleśā est le résultat de ce qui a été tourmenté.
On peut alors voir kleśā comme un (ou plusieurs) processus tourmenté qui a été mis en place, et qui par la suite va générer la souffrance, la maladie, les afflictions ou encore les douleurs.
Quels sont les 5 Klesha ?
अविद्यास्मितारागद्वेषाभिनिवेशाः क्लेशाः॥३॥
avidyā-asmitā-rāga-dveṣa-abhiniveśaḥ kleśāḥ ॥3॥
L’ignorance, l’égoïsme, les attachements, les aversions et le sur-attachement à la vie sont les 5 afflictions
(Yoga Sutra II.3)
Dans le troisième sutra de Sadhana Pada (chapitre 2), Patanjali nomme les 5 klesha qui sont :
- Avidya – l’absence de connaissance, nescience ou ignorance.
- Asmita – un terme technique que l’on pourrait traduire par égoïsme.
- Raga – les colorations qui affectent notre esprit et génèrent les envies et les désirs.
- Dvesha – les souvenirs de douleur qui génèrent les aversions.
- Abhinivesha – l’attraction et le sur-attachement à la vie dont découlent l’intégralité de nos peurs et nos anxiétés.
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Avidya – La nescience ou l’ignorance
अनित्याशुचिदुःखानात्मसु नित्यशुचिसुखात्मख्यातिरविद्या॥५॥
anityā-aśuci-duḥkha-anātmasu nitya-śuci-sukha-ātmakhyātir-avidyā ॥5॥
Considérant le non-éternel, l’impur, le douloureux et le non-soi comme le permanent, le pur, le plaisant et le soi est avidyā
(Yoga Sutra II.5)
Le mot “avidya” est composé du préfixe “a” (absence de) et “vidya” (sagesse, connaitre, comprendre). On peut le traduire comme l’absence de connaissance ou encore la nescience.
Bien que Patanjali utilise le mot avidya pour parler de l’ignorance principale (le fait que nous ne connaissons plus notre vrai Soi), prenons un exemple un peu plus pragmatique et tangible pour comprendre ce concept essentiel.
Disons que vous achetez une maison, mais vous n’avez aucune idée de combien d’argent vous avez sur votre compte bancaire, vos capacités de rembourser le crédit ou encore s’il y a des problèmes structurels dans la maison que vous achetez qui peuvent demander des travaux importants… Que va-t-il se passer ?
Il se peut que tout se passe à merveille et il n’y a aucun problème ! Mais est-ce que les risques d’un achat fait dans l’ignorance totale ne sont pas augmentés ?
Il en est de même pour notre propre existence. Une grande obscurité existe à propos de notre vrai nature, qui nous sommes réellement. Et tous les autres klesha découlent de cette ignorance initiale, qui devient la cause principale de nos illusions.
Le saviez-vous ? Dans l’Ayurveda, cette même ignorance (appelée prajna-aparadha, ou le crime contre la sagesse) est considérée comme la cause principale de l’intégralité des maladies du corps et de l’esprit !
Asmita – l’égoïsme
दृग्दर्शनशक्त्योरेकात्मतेवास्मिता॥६॥
dr̥g-darśana-śaktyor-ekātmata-iva-asmitā ॥6॥
(Quand) le pouvoir de l’Observateur et le pouvoir du processus (instrument) d’observation apparaissent comme un, c’est asmitā (égoïsme)
(Yoga Sutra II.6)
Asmita est un terme technique utilisé dans la philosophie de Yoga pour désigner un processus de grande complexité – le processus qui permet la cognition et qui génère ce que nous prenons pour notre égo ! On pourrait traduire ce mot comme “l’égoïsme” mais cette traduction reste assez limitée et limitante.
Malheureusement, bien expliquer le processus d’asmita n’est pas possible dans un article. Pour cela, il est important de comprendre les mécanismes de cognition et avoir de très bonnes bases dans la philosophie de Yoga.
Mais à chaque fois que vous vous trouvez en train de vous comparer, de vous juger, de penser “j’aurais dû faire ça et pas ça”, ou encore lorsque l’on parle de manque de confiance ou mauvaise estime de soi – c’est le processus d’asmita qui est derrière.
Raga – les attirances ou les désirs
सुखानुशयी रागः॥७॥
sukha-anuśayī rāgaḥ ॥7॥
Les plaisirs et les sensations agréables sont suivies de près par “rāgaḥ” (coloration du champ du mental/désir/attachement)
(Yoga Sutra II.7)
Pour comprendre le terme raga, utilisons un exemple extrême. Disons qu’un jour, vous êtes particulièrement stressé et un ami vous propose un verre l’alcool. Vous buvez et tout de suite après vous vous sentez super détendu (plaisir). Que se passera-t-il la prochaine fois que vous vous retrouverez devant un verre d’alcool ?
Notre esprit fait des associations entre les moments de plaisirs et les objets qui ont généré ce plaisir. Ces associations génèrent l’attraction envers ces objets. Le problème vient lorsque ces associations deviennent fortes. Dans notre exemple, si à chaque fois que vous preniez un verre, vous ressentiez le même plaisir, au fur et à mesure l’esprit va commencer à générer une addiction à l’alcool. Plus cette addiction devient forte, moins vous serez à l’écoute des mauvais effets de l’alcool (l’esprit occulte les mauvais effets des choses qui nous amènent du plaisir).
Si vous avez déjà essayé de raisonner avec quelqu’un qui a une forte addiction à l’alcool, vous savez sans doute de quoi je parle ! Mais le même processus est aussi présent derrière chaque désir, chaque envie et chaque attraction que nous ressentons.
Dvesha – Les aversions
दुःखानुशयी द्वेषः॥८॥
duḥkha-anuśayī dveṣaḥ ॥8॥
Les douleurs et les sensations désagréables sont suivies de près par “dveṣa” (haine, peur, aversion)
(Yoga Sutra II.8)
À l’inverse de raga sont les dvesha. Si raga est généré lorsqu’un objet nous apporte du plaisir, dvesha est généré lors qu’un objet nous apporte de la douleur.
Tout comme fut le cas pour les raga, l’esprit génère une association entre l’objet et la douleur ressentie. La prochaine fois que l’esprit rentre en contact avec cet objet, une forte aversion envers cet objet est présente, et l’esprit occulte l’objet.
Un exemple simple pour comprendre cela sera de penser aux idées ou des concepts qui nous perturbent (dont peut-être cet article aussi !). Combien avons-nous envie d’écouter ces idées une deuxième fois ? Pas beaucoup !
Abhinivesha – l’attachement à la vie et les peurs qui en découlent
स्वरसवाही विदुषोऽपि तथारूढोऽभिनिवेशः॥९॥
svarasavāhī viduṣo’pi tathārūḍho’bhiniveśaḥ॥9॥
Coulant de sa propre puissance, établit dans tous, même les sages, est abhinivesa (l’attachement à la vie/peur de la mort)
(Yoga Sutra II.9)
Qu’est-ce qui nous permet d’avoir des expériences ? De ressentir les plaisirs (raga) et douleurs (dvesha) ? Bien sur, notre corps ! Notre existence. Et tout ce que nous pensons définit notre existence.
Pensez à une personne que vous aimez énormément. Avez-vous peur de la perdre ? Est-ce que parfois l’anxiété générée par cette peur vous incite à faire de mauvais choix ou encore à vous stresser de trop ? Est-ce que nous sommes capables de garder le sang-froid lorsque quelqu’un (ou même quelque chose) à qui nous sommes très attachés est en danger ?
C’est la nature de abhinivesha, même si là il s’agit plutôt de l’attachement à notre propre existence et ce que nous pensons définit notre existence.
À noter ici qu’il ne s’agit pas de dire que c’est “bien” ou “mal”. Mais simplement capter comment les forts attachements influencent notre capacité de voir les choses telles qu’elles sont !
Comment les 5 Klesha nous affectent ?
L’intégralité des problèmes psychologiques ou sociaux peut être expliquée à travers les mécanismes générés par ces 5 klesha. Ce n’est pas simplement que ces klesha nous affectent ! C’est qu’ils sont en train de diriger toutes nos vies.
On peut décomposer leurs influences plus facilement si on pense aux personnes particulièrement nocives. Par exemple une société de pétrochimie qui ne cesse de pomper le pétrole afin de gagner de plus en plus d’argent (raga). Pourquoi ? Parce qu’ils aiment bien le pouvoir qui en découlent (raga), ils sont peur de perdre ce pouvoir (dvesha) et ils sont très attachés à tous les biens matériels que ça les procure (abhinivesha et asmita). Et ce malgré du fait que tout le monde capte que si on continue dans ce schéma, on va ruiner la planète – mais ils ne veulent pas l’accepter (avidya) !
Mais – et malheureusement – c’est beaucoup plus difficile de faire ce même style d’analyse quand il s’agit de notre propre vie et de nos désirs, justement à cause de la présente d’asmita, des raga et des dvesha.
Comment travailler les 5 Klesha ?
Il n’existe aucune série ou séquence posturale, aucun pranayama ou d’ailleurs aucun “cours de yoga” qui peut enlever ces klesha. C’est important de le spécifier car justement cette tendance à vouloir des solutions faciles, super rapides et “efficaces”, est précisément ce qui décuple les effets des klesha.
La voie de Yoga existe justement pour nous aider à diminuer ces klesha. Ce qui est important c’est d’aborder cette voie dans sa globalité et ne pas se restreindre uniquement à une pratique posturale. Il est alors important de démarrer par une meilleure compréhension de la philosophie de Yoga, mieux se comprendre, et aussi apprendre les arts comme la méditation et la contemplation.
C’est la seule et unique façon de diminuer les effets des klesha sur nous (et notre société). Mais c’est aussi un travail de longue durée, qui demande persévérance, discipline et une vraie envie de sortir de l’emprise de ces klesha.
Résumé
Le concept des klesha est un concept d’une très grande importance pour chaque pratiquant de la voie de Yoga. Mais il n’est pas simple à comprendre. D’ailleurs, cet article ne fait que survoler les effets et les processus déclenchés par les klesha.
Il est aussi très, très difficile à accepter. Il va d’ailleurs à contre-sens de tout ce que l’on apprend dans la société moderne. Et une fois on commence à le creuser, réellement contempler ses effets et ses mécanismes, ça devient rapidement perturbant car ça touche à tous nos repères.
Mais est-ce une raison pour faire semblant que ces klesha n’existent pas, ou de les sur-simplifier/vulgariser avec les termes simplistes, comme est très souvent le cas ?
Vous me direz ce que vous en pensez dans les commentaires !
Merci Pankaj
Profondeur et simplicité dans vos propos comme toujours 😉
Bravo pour cette capacité à rendre concrets et accessibles ses enseignements
Emmanuelle
Merci Emmanuelle 🙂
Bonjour Pankaj.
Et si on ne peut pas faire les asanas que jnana yoga requière, est ce qu’avec la méditation et les pranas nous pouvons nous libérer de la souffrance?
Merci Pankaj Namaskaram
Jeanne
Namaste Jeanne
Le mot “asana” parle vraiment de notre assise : dans notre vie. Donc pas du tout des postures physiques mais plutôt combien nous sommes posés dans ce que nous sommes.
Merci beaucoup pour cette vidéo qui prête à la réflexion et qui fait se poser la question “Qui suis-je” pas facile d’y répondre….
Cordialement
Bonjour Christiane. C’est sur que ce n’est pas une question facile à répondre. Mais rien qu’en se posant cette question… rien qu’en se permettant de poser cette question, on prend un grand pas vers l’avant.
Merci pour la vidéo! C’était très puissant et profond.. c’est la quête d’une vie 🙂 Bonne soirée
Merci Morgane. Je suis content que ça vous a aidé 🙂
Bonjour Pankaj,
Je partage totalement ce constat que le Yoga est Un et n’est pas divisible. Et il en est de même du Yoga en nous et savoir que nous avons déjà tout en nous c’est rassurant et inspirant pour (re)trouver le chemin.
Nathalie
Bonjour Nathalie. Oui, je suis tellement de votre avis. Il suffit de “se souvenir”. Belle journée !
Bonjour Pankaj
Juste magnifique . Yoga est unité , et déjà là en nous . C’est d’une fluidité …
Merci pour les élèves yogis.
Nadia
Merci Nadia 🙂 Je suis tellement de votre avis.
Merci pour toute cette sagesse et ces explications 🙏
Merci Floriane 🙂 Très content que ça vous aide.