Quand on pratique les asana, la première chose que l’on fait c’est observer. Comment sont les pieds ? Comment sont les genoux ? Est-ce que les muscles de l’intérieur de la cuisse sont activés ? Qu’en est-il du bassin ? Est-il en rétroversion ou antéversion ? Comment est le souffle ? Est-il fluide et lisse ?
Mais le mot-clé : on observe. On n’analyse pas ! C’est une différence subtile. Mais incroyablement importante.
Le processus analytique
Le processus analytique a sa place dans la pratique de Yoga. La voie accorde énormément d’importance à la cognition juste, et pour atteindre cette cognition, on utilise 3 méthodes : la perception directe, l’inférence et le témoignage. Tout ce que l’on fait en Yoga, que ce soit le travail postural ou l’étude philosophique, que ce soit la manière de placer les épaules dans trikonasana ou la façon de s’assoir durant la méditation, tout cela a une raison d’être. C’est logique. C’est étudié. Cela a été analysé à de multiples reprises.
Mais le processus analytique est un processus actif du cerveau conscient. Il demande la clarté des pensées : mais il demande les pensées !
Le moment d’analyser est durant l’apprentissage des techniques ou durant les discussions théoriques et philosophiques. Par exemple, cela arrive souvent durant les cours que l’on décortique une posture ou un enchainement afin de mieux comprendre comment les muscles sont censés bouger, comment les articulations doivent être placées, et pourquoi et comment on doit respirer de telle ou telle façon.
Durant ces moments, le cerveau est actif. Le vata dosha est en mouvement, notamment le prana vata. Le souffle est alors plutôt excité. Les 5 sens sont extravertis.
Cette partie est très importante, bien entendu. Sans cela, sans la compréhension du pourquoi du comment de la pratique, il devient facile de tomber dans une pratique qui va nous éloigner du Yoga. Cependant, quand c’est le moment de pratiquer, ce même processus analytique devient un empêchement.
Le processus d’observation
Si le processus analytique dépend du cerveau et du mental (manas et buddhi avec une bonne dose d’ahamkara), l’Observateur que l’on cherche à engager durant une pratique est Purusha (la Conscience). Pourquoi est-ce important ?
प्रयत्नशैथिल्यानन्त्यसमापत्तिभ्याम्॥४७॥
Yoga Sutra II.47-48
ततो द्वन्द्वानभिघातः॥४८॥
Quand l’effort est relaxé et le pratiquant médite sur l’infini, asana est perfectionnée. A ce moment-là, le pratiquant transcende les dualités (comme chaud/froid, bien/mal).
Mais même sans rentrer dans les aspects spirituels et philosophiques du Yoga, le fait de pouvoir relaxer l’effort durant la pratique a des forts impacts physiologiques.
Déjà, ce n’est qu’en relaxant l’effort que l’on arrive à réellement s’installer dans une asana et tirer ses bienfaits. Mais surtout, la pratique du Yoga, même purement posturale, est dans la prise de conscience des subtilités. C’est ce qui la distingue des séances de fitness/cardio/musculation. Il y a plus de 650 muscles dans le corps humain. Environ 900 ligaments. Plus de 1320 tendons. De combien en sommes-nous conscient ? Et pourtant, durant la pratique posturale, on cherche à engager presque l’intégralité des muscles, ligaments et tendons ! Et je ne parle même pas des divers centres énergétiques du corps ni du mouvement énergétique !
La manière de bouger un muscle, changer subtilement le degré de rotation ou de flexion d’une articulation, et mettre légèrement plus de poids sur un muscle afin de soulager la tension dans un tendon… c’est là-dedans que l’on trouve la pratique du Yoga. Mais pour cela, il est important que le corps et l’esprit soient entièrement relaxés.
Lorsque les processus actifs du cerveau sont engagés (comme avec l’analyse), il n’est pas possible d’avoir cette relaxation totale. Ces deux processus ont des besoins opposés en ce qui concerne notre système nerveux. Si l’analyse demande le système nerveux orthosympathique, la relaxation du corps est un effet du système nerveux parasympathique.
Et ce n’est qu’une fois que le corps et l’esprit sont entièrement relaxés que le processus d’observation, et donc le processus de rentrer dans les subtilités d’une asana peut démarrer.
Comment développer le processus d’observation
Lorsque j’apprenais, on utilisait plusieurs méthodes afin de développer la capacité d’observation :
- La répétition des mêmes mouvements : oui, je sais : quel ennui ! Mais l’apprentissage de chaque nouveau mouvement est un moment de stress pour l’esprit et le corps. Il y a bien entendu un moment pour apprendre des nouvelles postures et des nouvelles transitions. Mais pas lors d’une pratique régulière.
- L’utilisation des différents vinyasa krama pour rentrer dans la même posture : changer l’enchainement avant de rentrer dans une asana incite à travailler les divers muscles. Les asana que l’on a fait avant change également quels muscles sont travaillés/déjà fatigués. Parfois on avait des cours entiers juste sur les 10aine de différentes manières de rentrer en trikonasana !
- La ritualisation des bases de la pratique : comment placer les pieds, comment engager pada-bandha, hasta-bandha, mula-bandha et uddiyana-bandha, comment placer les épaules, la langue, les bras… tous ces aspects étaient ritualisés. Pareillement, comment observer le corps (toujours du bas vers le haut) était ritualisé.
- L’intégration des niyama et des yama : la plupart des personnes pensent que l’on pratique des asana afin de se relaxer. Mais traditionnellement, on était déjà relaxé avant de les pratiquer ! D’où venait cette relaxation ? A travers le travail que fait le yogi sur lui et son hygiène de vie !
- L’utilisation d’une respiration calme : il faut développer, assouplir et muscler le corps. Parfois cela demande une pratique qui nous fait transpirer et nous fatigue. Mais ça doit être « parfois » et distingué de la pratique des asana. Durant les asana, c’est plus un souffle posé, avec une expiration plus lente que l’inspiration, qui est privilégié.
- La dissociation entre l’être et ses pensées : nous ne sommes pas nos pensées. Nous avons la capacité de penser ! Ce sont deux choses bien distinctes. Parmi les exercices les plus importants qui m’avait aidé, c’était d’apprendre à observer mes pensées sans pour autant interagir/réagir avec.
Comment utiliser ces informations
J’ai posté cet article dans la catégorie « point de vue » au lieu de « astuces ». A proprement parlé, il n’y a pas d’astuces qui permettent de développer la capacité d’observation. C’est le résultat d’un long travail assidu et juste que l’on fait en Yoga. Et cela dépend énormément des styles de cours et l’enseignant que l’on suit.
C’est également un « point de vue » parce qu’il est très rare que je trouve des cours de Yoga qui travaillent les subtilités des asana. La plupart du temps, c’est une course vers la performance et des séquences qui ressemblent bien plus à du cardio qu’autre chose.
Mais si vous trouvez ce point de vue intéressant, essayez d’intégrer ces conseils dans votre pratique régulière. Prenez le temps de décortiquer les asana, cherchez à utiliser diverses techniques pour rentrer et sortir des asana (analyse). Ensuite, prenez le temps de calmer l’esprit. Et enfin, cherchez à engager les processus d’observation.
Bonjour, article très intéressant ! C’est une vraie difficulté simplement d’observer, et oui certainement un long entraînement à lâcher prise. Je crois que pour moi c’est la difficulté la plus importante. Juste observer et ne rien faire, ne rien penser, ne rien dire, ne pas bouger, seulement respirer. Cela m’est arrivé quelques dixièmes de secondes parfois, cette sensation “d’être” tout simplement, le temps ayant disparu… comme trouver l’équilibre dans une asana, quelques dixièmes secondes de paix intérieure. Qu’est-ce que tu vas me dire Pankaj, que “c’est déjà là” ? Je souris en écrivant cela, parce que oui, forcément c’est déjà là !. Je suis très heureuse d’avoir trouvé ton cours et ton enseignement.
Françoise
Coucou Françoise. Mais c’est normale qu’au début ce soit difficile. tu sais, depuis que l’on est petit, on nous enseigne tout l’inverse de cela ! La seule chose à faire c’est sourire quand c’est moment viennent, sans pour autant les chercher. Ca aide aussi de démarrer avec la conscience des pauses entre deux souffles ou simplement suivre le souffle dans le corps (mais pas de façon concentrer).
Bonjour
Cet article me parle beaucoup, toujours dans l’analyse, déformation professionnelle et tempérament ?
C’est vraiment difficile d’être juste observateur sans réaction mentale ; et après lecture de l’article je fais désormais bien la différence entre analyse et observation, il ne me reste plus qu’à mettre en pratique avec patience de rediriger mon esprit lorsqu’il s’égare vers l’analyse. Merci pour ce précieux éclaircissement.
Christine
Bonjour Christine,
Oui, ce n’est pas toujours facile parce que l’on est tellement peu habitué à observer. Ce qui aide énormément c’est le non-jugement de ce que nous observons. De même, prendre le temps de respirer, et surtout d’expirer, facilite le chemin.
Belle journée
Pankaj